atelier, journal, fragments, notes, etc.

28.10.16 – journal adressé

© Marc Johns

• vous êtes intarissable • chaque jour, notre relation s’efforce de siffler ses petits • luzienne pour partie, vous m’emmenez passer une semaine à saint-jean. il pleut, vous vous navrez, je jubile, il me suffit pour en jouir que cette ville soit vôtre, nous enregistrons le son de nos pas dans les galets, celui de la vague à son bout, quand le sable la suce en chuintant — la mer dans la baie ressemble à une bête fâchée piégée au fond d’un sac • vous me faites lire charles juliet • vous êtes gauchère. après la première nuit que vous passez chez moi, au matin, je m’attendris sur le rideau de la douche, que vous avez tiré à mon inverse • quand je me sens très bas, vous êtes là. quand je me sens très haut, vous êtes là, je ne vous dois ni l’un ni l’autre, ni le bas qui blesse ni le haut qui enchante, mais avec vous le premier meurtrit moins, le second émerveille davantage • face à vous je ne laisse pas de m’étonner de l’étonnement • vous me faites découvrir venise, que vous connaissez bien. si sentimentale semble-t-elle, la situation l’est d’abord peu : nous sommes à venise en plein été, les touristes abondent, ce n’est ni le temps du carnaval ni de l’acqua alta, des moustiques me dévorent, le climatiseur dans notre chambre fuit profusément, détrempant la moquette. mais nous buvons un spritz sur la giudecca, y flânons dans un chantier de fabrication de gondoles, nous visitons l’église san sebastiano dont l’intérieur fut décoré par véronèse, vous me permettez d’admirer tintoret à la scuola grande di san rocco, où l’on met des miroirs à la disposition des visiteurs pour qu’ils contemplent mieux les plafonds. ce qui vous envoûte à venise me pénètre • vous stockez j’élimine, je brèche et vous colmatez, vous parlez je pipe peu, vous conduisez on me voiture, l’argent vous tourmente il m’indiffère, vous buvez du thé je mange de la lotte • la mer va très vite à vous manquer • je vous offre lors d’un séjour dans le morbihan deux cauris montés en boucles d’oreilles • je ne pâtisse pas volontiers, il n’empêche, jamais encore je n’ai préparé pour vous de tarte ou de gâteau — il nous reste beaucoup à faire, ce n’est pas de cœur que nous manquons, mais parfois de vitesse • parmi les objets que je remarque la première fois que vous m’invitez chez vous se trouve un porte-bonheur — un œil au centre d’un disque en pâte de verre bleue, qu’on nomme nazar boncuk en turquie, que vous avez rapporté de grèce puis suspendu au mur de votre chambre, qui deviendra la nôtre • lorsque vous rentrez d’alger je viens vous surprendre à l’aéroport, mais d’abord, dans la station de métro charenton-écoles, je confonds, en m’adressant à la guichetière pour lui acheter un ticket, roissy-charles-de-gaulle avec charles de gaulle – étoile, mon lapsus en dit long sur ce qui nous distingue en matière de bougeotte • j’ai compris avec votre aide que mon enfance avait été âpre, grâce à vous je la subjugue un peu • si je ne partage pas votre passion pour callas, je l’admire, et cette passion que vous nourrissez vous rend à mes yeux, quoique d’autres la nourrissent, plus unique encore, plus irremplaçable • vous avez entre autres visité le japon, l’argentine, cuba, les états-unis, l’inde ou l’égypte, sans vous j’ai vu très partiellement la belgique et la tunisie, l’allemagne, l’espagne et la grèce, ensemble nous avons fréquenté londres et l’italie — nous n’en aurons jamais fini • vous portez des caracos, vous êtes la première femme de mes intimités à en porter, le caraco à mes yeux vous est indissociable • je vous offre cinq roses rouges, que vous disposez dans un vase. le soir avant de nous coucher, nous emportons le vase dans la cuisine pour que les fleurs aient moins chaud, le lendemain matin les feuilles se sont flétries, les têtes ploient, ma colère monte, je fustige l’égouttoir avec le bouquet, vous pleurez, nous sommes très près de la séparation • j’écoute en votre compagnie atahualpa yupanqui, que vous avez vu, me dites-vous, une bonne dizaine de fois en concert • nous apprenons avec les années à voir plus clair dans nos offres • nous aimons le champagne, la peinture de bonnard et de staël, papy fait de la résistance, le fromage, les pivoines, vivaldi, cecilia bartoli, les séjours à la campagne, les plateaux de fruits de mer, les marches dans la nuit à paris, le dix-huitième arrondissement, strasbourg, les courts et longs métrages d’agnès varda, les demoiselles de rochefort, ella fitzgerald, les perruches à collier du bois de vincennes, le badminton que nous rappellerons volant tant que nous n’y rejouerons pas mieux, les surprises, le hockey pneumatique, le parc zoologique de paris, la première saison de la série true detective, les deux derniers livres d’édouard levé, un demi avec faux col au caranto, les films d’alain cavalier — nous n’en aurons jamais fini • quelquefois nous brûlons mal, la flamme se transforme en cautère — gare au vilain mesquin foyer dévorateur • à veules où pour la première fois enfant j’ai vu la mer, nous volons un galet, une trogne déjetée au nez lourdement défléchi, au sourire tors par l’entrouverture duquel on voit de petits feux, nous l’adoptons. nous parlons à nos amulettes • nous nous navrons des jours de farine indiscernable. nous avons soif de ras bord • la première fois que vous venez chez moi, où vous passerez la nuit, vous m’envoyez un bref message depuis le métro pour m’indiquer que vous y écoutez kathleen ferrier au casque • lorsque vous partez pour le venezuala en compagnie de votre sœur et de votre tante qui a passé là-bas l’essentiel de sa vie, nous nous connaissons depuis peu, avec votre accord je m’installe chez vous pour tromper mon attente, pour conjurer le sort dont je crains très follement qu’il vous arrache à moi, nous nous écharpons par téléphone à plusieurs reprises, notre relation pour un peu s’effiloche, je filme un patineur évoluant sur la surface gelée du lac daumesnil, j’attrape la grippe, quand vous rentrez je dors, j’ouvre un œil vitreux sur votre hâle, la retrouvaille nous procure un soulagement d’une intensité au moins égale à celui qu’on éprouve en décollant un sinapisme qui vous a brûlé • je regrette beaucoup de ne pas avoir connu votre mère • nous apprenons le glissé, nous apprenons à bâtir notre maison où nous sommes, nous arrondissons quelquefois l’anguleux. d’autres fois, quoique moins, nous épointons l’aimable — en aurons-nous jamais fini ? • nous nous aimons très fort mutuellement, mais respectivement peu • je vous propose d’aimer gondry, nous voyons be kind rewind, the we and the i, l’épine dans le cœur, eternal sunshine of the spotless mind, vous acceptez • nous échangeons, au tournant d’un escalier, dans le château du haut-kœnigsbourg dont comme jacques roubaud avec le mont fuji nous décrétons pour rire qu’il n’existe pas ou plus, un baiser qui de facto n’existe pas davantage, dès lors reproductible à l’envi, infiniment durable • vous représentez tout ce qui paie du dur, du sec, du froid • vous teignez vos cheveux courts • à vous qui avez voyagé, c’est pourtant moi qui montre en premier saint-malo, nous sortons de la gare à la nuit, luttons contre des balaiements, des rinçures qui, suivant la direction du vent, crépitent contre les vitres des voitures comme des poignées de semoule, vos impressions sont mitigées. passé la porte saint-vincent, vous découvrez l’intra-muros a giorno, votre visage s’illumine, le lendemain vous exultez sur la plage du sillon • comme il est de mise pour tous les couples, vous vous émouvez sur les photographies où je figure enfant, je fonds face aux vôtres • vous détestez les serpents, je hais les araignées • à banon où nous passons nos vacances, nous nous lisons chaque jour des nouvelles de julio cortázar. au retour, cortázar se trouvant enterré non loin de vos parents au cimetière du montparnasse, nous déposons quelquefois sur sa tombe deux cailloux, un pour lui un pour l’oursine • je vous photographie nue dans une chambre de saint-aubin-sur-scie • je ne vous convaincrai pas davantage d’aimer ornette coleman que vous ne me persuaderez d’apprécier à nouveau le western • le sermon en chaire de vérité, dans le petit baigneur, nous fait rire aux éclats • dans ma ville où nous séjournons par force, pour vous déchagriner je vous offre trois soirs successivement du jazz, des musiques de films de woody allen, tony bennett avec l’orchestre de count basie, artie shaw en 1938 • quelquefois nous grimpons sur un ring, nous y heurtons quatre poings de béton, cela nous apetisse, alors nous émiettons le béton, le moudre nous raccroît • à banon où nous passons nos vacances, je pioche le château de cène sur une étagère, vous en lis quatre ou cinq pages au hasard, et nous baissons culotte • fred astaire, maria callas, pauline carton, pierre dac : quoique dans des registres différents, votre délectation à entendre, à voir ces quatre-là est égale • il arrive que de petits cris d’extase nous sortent tout naturellement de la poitrine • en aurons-nous jamais fini ?
JE VOUS SOUHAITE UN TRÈS BON ANNIVERSAIRE 

1 commentaire:

Unknown a dit…

De mon Algérie aimée, je déambule à pas feutrés vers vous et suis si bouleversée de ce que vous offrez là avec délicatesse et profondeur... Laissez-moi vous embrasser entre les bulles de champagne qui vous griseront, et espérer vous voir enfin bientôt...Ton Africaine encore