Immeuble de Jacques Roubaud, 18.03.16
© Danièle Momont
Fini Dalva – le
jour où nous avons appris la mort de Jim Harrison, dans notre lit je lisais à
Joëlle Je suis étendu sur le lit qui est
derrière toi. J’ai calé ma tête et mes épaules sur les deux grands oreillers. Légendes
d’automne de Jim Harrison est posé, dos
en l’air, sur ma poitrine. Ma respiration le fait monter et descendre. Car
à Joëlle ce jour-là dans notre lit, je lisais Un homme regarde une femme, à mon goût le plus beau texte de Paul Fournel, avec Foraine peut-être bien,
et Chamboula. Fini Dalva (des gens avalent les livres, les
dévorent, quand à cette gourmandise jubilatoire j’oppose depuis l’enfance et
m’en grondant un goût de la rétention qui va parfois jusqu’au report, et sine
die, de la lecture d’un texte intensément convoité, à l’interruption quelquefois
d’une lecture qui m’exalte) – les Indiens, Michael s’échauffant dans
l’arrière-salle de la Douce Paresse
assénant à la mer des visages alignés devant
lui, Je n’ai jamais dit que les Sioux
étaient des oies blanches ou des petits saints. Je dis simplement que
l’histoire nous apprend que vos ancêtres se sont comportés comme des centaines
de milliers de nazillons cupides. Fini Dalva
– les Indiens – Ainsi, Northridge a
constaté avec sa longue-vue que les fusils s’étaient tus depuis quelques
minutes, quand il a aperçu une douzaine de petits enfants, âgés de moins de
cinq ans, qui sortaient tout doucement d’une cachette en croyant la bataille
terminée. Tous ces enfants ont alors été criblés de balles, et leurs corps
étaient si légers que les impacts les ont envoyés bouler au bas de la colline
jusqu’aux cadavres de leurs parents. Fini Dalva, quitté Dalva, quitté Ruth & Naomi, quitté Michael,
Lundquist, Frieda, Ted & Duane, quitté Northridge & le grand-père,
quitté Karen, quitté cette longue théorie d’inventions papillotant,
tremblotant, que comme mille autres avant elle & après on aura coudoyée
dans l’encre. Les territoires sillonnés dans l’encre. Les années arpentées dans
l’encre. La théorie d’hameçons d’encre à quoi comme à des esches nos rêves
s’accrochent. Fini Dalva, Je me surprenais à contempler sans cesse un
passé auquel je souhaitais désespérément échapper – je n’avais compris que très
récemment qu’il était possible d’en émerger sans l’oublier, et que le souvenir
n’est pas forcément synonyme de suffocation. Fini Dalva, et lisant Dalva
songeant ce qui précède, couvait en moi, peut-être à tort, le ressouvenir du
poème de Charles Juliet, celui qui n’a
pas / pénétré sa nuit / n’est pas descendu / dans l’abîme // que sait-il du
regard / qui s’inverse / du face-à-face avec soi / des tourments qu’il entraîne
// que sait-il / de l’âpreté du combat / du sans-fond de la détresse / des
affres de l’agonie // que sait-il / de ce qui naît / du consentement / à la
mort. Fini Dalva, retenu de Dalva pour l’avoir plusieurs fois lu
l’adjectif gravelé – j’entame Kaputt et, sitôt, embroussaillé me saute à la figure. J’entame La supplication de Svetlana Alexievitch. Je passe demain récupérer Poétique. Remarques et Récits de la Kolyma commandés mercredi à
la librairie d’en face.
Dalva, Jim Harrison, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1991, traduit par Brice Matthieussent
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